• Seuls parmi les autres

    Fin du jour 2

    Nous sommes éreintés en arrivant à Doussard. Les cinq heures de randonné, les mille mètres de dénivelé positif, puis négatif, suivies de trois heures de route, les innombrables pauses pipi (autant de moments d’introspection) et surtout une playlist composée de deux titres qui a tourné durant tout le trajet ont fini par être fatal à notre moral. Arrivés au pied de l’immeuble, Delphine se presse de s’enfermer dans les toilettes tandis que je prends mon temps – mais ai-je le choix ? – pour monter nos treize sacs en empruntant les escaliers.

    Le plus lourd parmi eux est un sac de 130 litres qui contient les multiples topos et livres que nous n’ouvrirons jamais qui doivent nous permettre chaque soir, lors du sacro-saint apéro, de décider du périple du lendemain.

     

     

    Nous nous empressons de vider les sacs en créant des piles et des tas, probablement avec l’objectif inconscient de reconstituer notre habitat naturel, pour nous précipiter au plus vite sur le balcon où les bras en croix nous nous en remettons à nos saints pour décider du programme du lendemain.  

     

     

    Pendant près d’une heure, nous confrontons les multiples modèles météo en nous efforçant de séparer le bon grain de l'ivraie, nous analysons les cartes topographiques pour mieux visualiser les fourbes brises. Nous finissons par comprendre que nous n’y comprenons rien et jugeons qu’il est préférable de livrer nos existences aux lois aveugles du destin. En voulant me saisir maladroitement de cacahuètes, je fais tomber lourdement la décision de la table. Au sol, le topo reste ouvert à la page du col des Frêtes. Inc Allah, Alea Jacta Est, nous écrions-nous selon notre origine !

     

    Jour 3

    Pour atteindre le col des Frêtes depuis Perroix, il faut aimer la monotonie. Nous marchons sous les bois pendant près de trois heures en suivant un sentier boueux et escarpé. Pour casser cette ambiance, je m’emploie une bonne partie de la montée à parler de tout et de rien. Le temps me semble passer vite. La mine éprouvée de Delphine indique l’inverse. 

    Nous atteignons enfin l’orée des bois et j’observe un bref instant de silence devant le panorama qui s’offre à nos yeux. Dans le même temps, Delphine retrouve le sourire. Le spectacle naturel qui se livre à  nous en constitue l’explication la plus vraisemblable. Il me semble.

     

    Seuls parmi les autres

     

    À plusieurs reprises, de jeunes gens fougueux, au corps bouillonnant d’hormones, nous ont dépassé au galop, la respiration saccadée et le poil brillant. Les dimensions de leurs sacs sont tellement réduites que nous nous sommes convaincus d’être en présence de randonneurs. Que nenni ! Ceux que nous rejoignons au sommet sont des parapentistes chevronnés, tous équipés de mini-voiles et de sellettes si légères qu’en comparaison un string parait très habillé.

     

    Seuls parmi les autres 

     

    La fréquentation des deux randonnées que nous avons réalisées jusqu’à présent s’apparente plus à la Canebière un jour de marché qu’aux courses dont nous avons l’habitude sur les chemins de la sauvage Ubaye ou des sommets de l’intime Queyras.

     

    Peu importe, nous nous élançons dans le ciel azuré tels des aigles majestueux. Enfin, pour Delphine notamment. Pour ma part, mon départ évoque plutôt celui d’une dinde déplumée : je rencontre quelques difficultés à réaliser un dos voile avec ma nouvelle aile, une Susi 3. Elle est si légère que je ne ressens rien en l’absence de vent. Heureusement, une aimable jeune femme se propose plusieurs fois d’étaler mon aile. Je balbutie, je bégaye, je bafouille. Elle éclate de rire. Je mets fin à cette rencontre burlesque en prenant mon envol et rejoins Delphine qui ne rit pas du tout.

     

    Seuls parmi les autres

     

    Voler transfigure l’expérience humaine. Un bout de tissu, quelques ficelles et nous voici les égaux des oiseaux. Quelle chance extraordinaire de vivre cet instant historique où l’homme expérimente enfin la  liberté procurée par l’accomplissement de ce rêve vieux comme le monde. 

     

    Seuls parmi les autres 

     

    Le temps est comme figé, les minutes semblent d’éternité. Perdu dans une immensité bleue, perché loin au-dessus d’un puzzle de routes, de champs, de forêts, je vole. Je vole !

    Je préfère cent fois un vol de dix minutes dans des paysages somptueux qu’un vol de cent kilomètres autour de sites sans intérêt car cent fois pratiqués.

     

    Seuls parmi les autres 

     

    Bientôt, la réalité reprend le dessus. Il faut se poser. Avec regret, je jette un dernier regard à la recherche des bribes de joie que j’ai semées.

     

    Le soir venu, nous reproduisons cette habitude prise lors de nos treks. Nous poser autour des cartes, et quelques bières aidant nous prenons nos décisions pour le lendemain.

     

    Seuls parmi les autres

     

    Faire, c’est aussi ne rien faire, m’explique Delphine. Après tout, si Dieu a fait les routes et les biroutes, c’est bien pour s’en servir, beugle-t-elle en se redressant. 

    Tant d’ardeur dans un corps brisé, épuisé, éreinté – selon ses dires – me stupéfait. J’ouvre une nouvelle canette. Enfin, la vérité éclate : je comprends que nous volerons sur site et ce sera aussi très bien. Aurais-je été manipulé ?

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  • Commentaires

    1
    william
    Mardi 13 Avril 2021 à 20:43

    top, on en veut encore!!!

    2
    Mardi 13 Avril 2021 à 22:18

    Moi je n'ai vu qu'une double lecture wink2he

    3
    Gérard
    Mercredi 14 Avril 2021 à 08:06

    Je comprends mieux pourquoi un vol de dix minutes seulement, c'est l'envie de pisser avec toutes les bières de la veille ! happy

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